T.Ould-Hamouda : M. Monnoyer, bonjour et bienvenue chez les Kabyles.
Maurice Monnoyer : Bonjour.
T.Ould-Hamouda : Avez-vous vécu en Kabylie et peut-on savoir dans quelles circonstances avez-vous connu Mouloud Feraoun ?
Maurice Monnoyer : Je n’ai pas vécu en Kabylie, mais j’y suis allé plusieurs fois et j’ai aimé cette région typique et attrayante. J’ai vécu à Alger, en qualité de journaliste, de janvier 1948 à décembre 1956. C’est Emmanuel Roblès qui m’a proposé de rencontrer Mouloud Feraoun, pour une interview dans mon journal « l’Effort Algérien » dont j’étais le rédacteur en chef.
T.Ould-Hamouda : Vous êtes auteur de plusieurs ouvrages qui se rapportent souvent à des faits vécus, pourquoi ?
Maurice Monnoyer : Je suis, en effet, l’auteur de douze livres publiés par plusieurs éditeurs. Ils sont différents. Ce sont des témoignages, des récits, des cris du cœur, des nouvelles, des réflexions sur la vieillesse, des souvenirs et un roman. Pourquoi les avoir écrits ? Je suis un communiquant. J’ai désiré transmettre ce que j’avais vécu en Algérie (un témoignage), mais aussi mes réflexions sur le journalisme, la vie, mes origines, ma foi et la vieillesse.
T.Ould-Hamouda : Vous étiez journaliste à l’époque de la guerre d’Algérie, vous êtiez pour ainsi dire, un acteur-témoin de cette période, pouvez-vous nous en parler ?
Maurice Monnoyer : J’ai vécu deux ans et trois mois de la guerre d’Algérie. J’ai donc été un témoin et, avec mes amis du journal, j’ai tenu à m’exprimer. Nous étions contre la violence et pour le dialogue. Nous voulions que les Algériens et les pieds-noirs vivent en bonne intelligence. Les assassinats nous choquaient. Nous rêvions de construire une Communauté algérienne dans la justice pour tous et la fraternité. Nous étions sur la même ligne qu’Albert Camus. Quand il est venu parler à Alger, en janvier 1956, au cours d’une séance historique, j’étais présent. Le lendemain, j’ai été menacé d’être expulsé par la police parce que j’avais, dans mon journal, publié l’appel de Camus : il demandait que les combattants épargnent les femmes et les enfants. Son appel n’a pas été entendu par le gouvernement français et le F.L.N.
T.Ould-Hamouda : Vous avez vécu en Algérie et vos enfants y sont nés, comment avez-vous vécu l’après indépendance où les français étaient obligés de quitter leurs biens, leurs maisons ?
Maurice Monnoyer : Douloureusement. D’abord, parce que j’avais du, à regret, quitter l’Algérie, ma patrie d’adoption. Ensuite, parce que notre projet n’a pas été compris. Je regrettais aussi le départ précipité des pieds-noirs dont l’Algérie était la patrie. J’étais retourné à « Nord Eclair » mais avec un salaire diminué de 30 pour cent. Je travaillais la nuit, je n’avais pas de voiture et je devais rembourser les dettes de la construction de ma maison à Hydra. Cette maison, a été construite par un disciple du Corbusier, M.Roland Simounet, Grand prix national d’architecture. Le gouvernement l’a confisquée, sans tenir compte que j’avais lutté à « l’Effort » pour le bonheur des Algériens (reconnaissance de leur dignité, plus de justice, etc.) Mais jamais je n’ai oublié l’Algérie. Je suis resté en contact avec Mouloud Feraoun et Mohammed Dib, de vrais amis.
T.Ould-Hamouda : Parmi vos romans, on trouve certains dont on aimerait bien avoir un résumé, ex. : « Journaliste en Algérie ou l’histoire d’une utopie » , « Voir Dieu, enfin ! » ?
Maurice Monnoyer : « Journaliste en Algérie ou l’histoire d’une utopie » (L’Harmattan) est un témoignage sur le travail courageux et désintéressé de personnalités catholiques qui désiraient une autre Algérie, dans les années 50, plus juste pour tous, plus humaine, mieux organisée, pacifique. J’ai expliqué cela dans mon livre qui dit ce que beaucoup d’historiens n’ont pas dit, ce qui explique pourquoi mon livre fait aujourd’hui autorité. Il faut donc le lire si l’on s’intéresse à l’histoire de l’Algérie. « Voir Dieu, enfin ! » est une lettre adressée au Seigneur, lettre d’un catholique qui voit la mort s’approcher. J’ai 89 ans.
T.Ould-Hamouda : Vous étiez aussi ami de Albert Camus, pouvez-vous nous en parler ?
Maurice Monnoyer : Camus ? C'est un grand écrivain, prix Nobel de littérature, pied-noir qui voulait le bonheur de tous les habitants de l'Algérie ( son reportage sur la Kabylie est la preuve de son humanité). Il ne souhaitait pas l'indépendance, il voulait que pieds-noirs et Algériens vivent ensemble et en fraternité, comme le souhaitait "l'Effort Algérien". Mon grand regret : ne pas avoir demandé à le rencontrer pour discuter avec lui de l'avenir de votre pays, avant mon départ d'Algérie. Nous étions sur la même ligne. Je l'ai écouté lorsqu'il a lancé son appel pour une trêve civile en janvier 1956, il avait le visage décomposé en entendant venant de l'extérieur les cris des ultras(futurs OAS) : "A mort, Camus !" A la fin de la réunion, je lui ai serré la main en silence, puis j'ai signé son appel.
Camus était un visionnaire. Alors que les gens de gauche en France admiraient l'Union soviétique et Staline (Sartre, en tête), il a dénoncé à la fois l'hitlérisme et le marxisme. Sartre lui en a voulu et l'a dit publiquement. J'admire Camus. Il n'avait pas la foi, mais c'était un homme intègre, aimant les faibles et les déshérités. Peu avant sa mort, il s'est entretenu avec le Cardinal Duval.Voilà deux hommes qui ont aimé passionnément l'Algérie.
T.Ould-Hamouda : Vous avez échangé plusieurs lettres avec Mouloud Feraoun, avez-vous une que vous aimeriez partager avec les lecteurs ?
Maurice Monnoyer : Oui, Mouloud et moi avons échangé une correspondance. Nous étions amis, de grands amis. Son assassinat m’a bouleversé. J’ai pleuré car j’avais perdu un être cher et tellement bon. Ses lettres, inédites il y a quelques mois, ont été insérées dans le livre de M.Akbal « Mouloud Feraoun – Maurice Monnoyer. Histoire d’une amitié » (Editions El_Amel) La plus émouvante pour moi est celle qui dit « Je vous aime beaucoup ».
T. Ould-Hamouda : Vous vivez maintenant dans votre ville natale, avez-vous des regrets par rapport à l’Algérie, auriez-vous aimé vivre toute votre vie la-bas ?
Maurice Monnoyer : Je vis à Montpellier et non pas dans ma ville natale (Namur). Je suis né en Wallonie et naturalisé français depuis 1967. J’ai fait toute ma carrière de journaliste en France et en Algérie. Oui, je regrette que les circonstances aient voulu que je quitte l’Algérie. J’aurais aimé y finir ma vie, dans la maison d’Hydra.
T.Ould-Hamouda : Combien de livres avez-vous écrit ?
Maurice Monnoyer : Je vous l’ai dit : douze ouvrages depuis 1988. Les plus importants : « Journaliste en Algérie ou l’histoire d’une utopie », « J’irai vers le soleil ou la passion d’informer », « Vieux : oui – Vieillard : non. Journal (imaginé) d’un octogénaire », « Histoire d’une amitié » née en captivité en Allemagne (à ne pas confondre avec le livre de M. Akbal), « Célébration de la Wallonie » et « Le seul amour de ma vie », roman.
T.Ould-Hamouda : Comment peut-on les avoir. Sont-ils disponibles dans toutes les librairies ?
Maurice Monnoyer : On peut se procurer les ouvrages publiés par L’Harmattan (quatre) chez l’éditeur à Paris ou dans les bonnes libraires qui devront les commander à l’éditeur. Les autres, chez moi, en joignant un chèque: 75, rue Jacques-Tati, 34070 Montpellier. Consulter ma liste pour le prix de chaque ouvrage.
T.Ould-Hamouda : Le mot de la fin M. Monnoyer ?
Maurice Monnoyer : Merci pour l’intérêt que vous portez à mon travail d’écrivain et d’ami de l’Algérie.
Entrevue réalisée le 11 décembre 2009