Avant de prendre le chemin du retour pour Paris, Ferhat Mehenni a lancé un ultime appel pour l'adhésion des Kabyles à son projet politique en Amérique du Nord. Le Mouvement de l'Autonomie de la Kabylie compte bien tirer profit de sa présence à l'Instance Permanente des Peuples Autochtones aux Nations Unies. Dans une entretien accordé à notre correspondante, Ferhat Mehenni suggère l'idée de ce qu'il faut bien appeler un impôt communautaire.
Azul Mas Mehenni et bienvenue à Kabyle.com
Ferhat : Azul !
T.Ould-Hamouda : Pour la première fois la Kabylie a eu une place aux Nations-Unies et en tant que représentant de la Nation Kabyle, pouvez-vous nous parler de votre intervention ?
Ferhat Menheni :C’est en effet, pour la première fois que le peuple kabyle est représenté es-qualité à cette tribune des Nations-Unies. L’Algérie qui ne reconnait même pas la Kabylie en tant que région administrative devrait en méditer la leçon. La Kabylie est arrivée à maturité pour réclamer son droit à la maîtrise de son destin. Nous ne nous arrêterons pas à cette action d’éclat. S’il faut actionner toutes les instances et l’opinion internationales pour aboutir à la reconnaissance du peuple kabyle, nous le ferons. Les martyrs kabyles de 2001-2003 réclament toujours justice. Comme celle de l’Algérie est désactivée par la loi sur l’amnistie et la « réconciliation nationale », nous allons nous adresser à la justice internationale. Certes, les moyens financiers nous manquent mais nous comptons sur la mobilisation de tous les Kabyles pour y pallier.
T. Ould-Hamouda : On annonce une visite de M. Bouteflika à Tizi-Ouzou pour les jours à venir, qu’en pensez-vous?
Ferhat Menheni : Il est vraisemblable que cette visite soit la réponse du pouvoir à notre montée au créneau contre lui à la tribune des Nations-Unies. Le faire régir de cette façon est pour nous une victoire. Ceci dit, nous sommes contre cette visite et Mr. Bouteflika n’est toujours pas le bienvenu chez nous. Le jour où il demandera pardon à la Kabylie et au peuple kabyle pour tous les crimes commis par le régime qu’il incarne, nous pourrons envisager une autre attitude.
Pour le moment, si sa santé de vieillard le lui permet, nous savons qu’il va réquisitionner les fonctionnaires pour lui faire la haie d’honneur et ramener par train et par bus quelques milliers de personnes étrangères à la Wilaya de Tizi-Ouzou pour l’acclamer en arabe dans nos rues. Pour autant, il ne trompera personne sur son attitude raciste et belliqueuse envers les Kabyles. Si, c’est un plan de développement qu’il souhaiterait annoncer, il n’a pas besoin de venir jusqu’à Tizi-Ouzou. Il peut l’annoncer de n’importe quel lieu non seulement d’Algérie, mais du monde entier, y compris depuis Genève où il est pour des oins d’urgence. Et puis, quel crédit accorder à des annonces de plans de développement économique qui n’existent même pas sur papier encore ?
T.Ould-Hamouda : Revenons à votre voyage en Amérique. Vous avez aussi rencontré les membres de la communauté Kabyle à Washington et à New-York, pouvez-vous nous faire un résumé de vos rencontres ?
Ferhat Menheni :Je suis honoré par l’accueil que la communauté kabyle m’a réservé. Aux États-Unis, ce sont les Kabyles qui habitent à Philadelphie qui ont demandé à ceux de New York d’organiser cette rencontre. Ils étaient venus même de régions ayant un décalage horaire avec le lieu du rendez-vous. J’ai salué individuellement chacun d’entre eux. Par contre à Montréal, il y a concentration de Kabyles dans cette mégalopole qui en compte environ trente mille. Il y en a quand même qui étaient venus d’Ottawa et de la ville de Québec. J’ai remarqué que les mentalités ont évolué positivement en faveur du MAK et du projet d’autonomie pour la Kabylie. La conférence à l’UQAM a été une occasion de faire le point sur notre propre histoire de ces dix dernières années. J’espère avoir contribué à en donner un éclairage objectif. Il est fort probable que je rende visite à cette communauté deux fois par an pour faire le bilan de notre action et prendre ses conseils pour les actions à venir pour l’autonomie de la Kabylie.
T.Ould-Hamouda : Une conférence a eu lieu à Montréal le samedi 6 juin et qui a eu un grand succès autant par le nombre de personnes venues y assister que par la qualité des interventions. Comment expliquez-vous cela ?
Ferhat Mehenni :Aujourd’hui, tout le monde s’est rendu compte de l’impasse qui était la nôtre en suivant, jusque là, la ligne de l’ex Mouvement Culturel Berbère se limitant à la revendication de « tamazight langue nationale et officielle ». Nous voyons qu’en tant que Kabyles, en tant que peuple, la langue est certes très importante, mais pas suffisante. Seule la maîtrise de notre destin par nous-mêmes est en mesure de résoudre les problèmes qui sont les nôtres et qui se sont aggravés au fil des décennies depuis l’indépendance de l’Algérie. Par ailleurs, la justesse de nos positions et notre fidélité à nos valeurs et à nos principes ont permis de reconstruire l’espoir là où les déceptions, voire les trahisons avaient détruit toute idée de confiance en notre classe politique. Toutes les arguties développées par les adversaires du projet d’autonomie régionale, de même que les mensonges colportés contre nous ont eu le temps de montrer leur véritable nature. L’accueil qui m’a été réservé par la communauté kabyle en Amérique a pour moi la même signification que la marche du 20 avril 2009 en Kabylie : Une adhésion à un projet crédible, portant les espoirs d’un avenir plus sérieux pour nous en tant que peuple.
T.Ould-Hamouda : Vous avez participé à la marche pour la langue française organisée par le MMF, vous avez également rencontré plusieurs personnalités politiques du Québec, pouvez-vous nous faire un résumé de ce qui a été discuté ?
Ferhat Mehenni : J’ai été invité au rassemblement du Mouvement Montréalais pour le français. J’y ai été par solidarité et j’y ai rencontré toutes les personnalités québécoises œuvrant pour la défense de la langue française au Québec. Un compte rendu sur ces rencontres va être publié demain.
T.Ould-Hamouda : On peut dire que votre mission bien que brève a été couronnée de succès, êtes-vous satisfait ?
Ferhat Mehenni : Le militant que je suis n’est jamais tout à fait satisfait de son action. J’aurais aimé faire plus que mes moyens actuels ne le permettent. Cependant, j’ai des motifs de satisfaction : Avoir réussi à faire entrer pour la première fois la langue kabyle dans le Palais des Nations Unies, début d’internationalisation de la question kabyle, développement d’un réseau de solidarité international avec le peuple kabyle, conférences et débats enrichissants pour notre cause et adhésions de nombreux cadres au MAK. Nous pouvons toujours faire mieux.
T.Ould-Hamouda : Votre mot de la fin M. Mehenni ?
Ferhat Mehenni :Je remercie les organisateurs de ces rencontres et ceux qui s’y sont rendus. Je félicite pour leur sens de la solidarité toutes celles et tous ceux qui ont cotisé pour payer mes frais de voyage. Il serait bon d’ailleurs que le réflexe de solidarité par une petite cotisation mensuelle devienne régulier.
Nous sommes sur la bonne voie. Le pouvoir algérien va réagir soit par la répression, soit par la séduction (voyage de Bouteflika en Kabylie) soit par le mensonge contre nous, comme il l’a fait avec ses journaux tels « Ennahar ». Il pourrait même les combiner ensemble. Mais du fait que nous avançons à grands pas vers notre liberté, ses réactions sont d’ores et déjà vouées à l’échec. Aussi, donnez-moi la main, j’ai besoin de l’aide de chaque kabyle.
Tanemmirt
Entrevue réalisée le 8 juin 2009 par Tassadit Ould-Hamouda
Pour Kabyle.com