Entrevue avec Karim Akouche - Les Baisers du fantôme.
Bien dans sa peau, les yeux pleins d'intelligence, rebelle, sensible mais résolument perspicace, Karim Akouche, romancier prometteur a toutes les qualités malgré son jeune âge pour prétendre à une place confortable dans le Panthéon universel des lettres.
Nous l'avons rencontré à Montréal, il a bien voulu répondre à nos questions.

Kabyle.com : Azul a Karim et bienvenue à Kabyle.com.
Karim AKOUCHE : Azul et merci pour votre invitation
Qui est Karim Akouche ? Pouvez-vous vous présenter aux internautes de Kabyle.com ?
Je suis un écrivain naissant, un poète embryonnaire. Ma religion c'est la littérature. Je suis originaire de Kabylie. J'ai 29 ans. Les éditions P.I.T (Pax In Terris) ont publié mon premier roman, Les baisers du fantôme, au mois d'août dernier.
Votre premier livre a fait une très belle entrée dans le domaine de la littérature francophone et ne laisse personne indifférent ne serait-ce qu'en évoquant le titre. Pourquoi avoir choisi "Les baisers du Fantôme?»
Ce titre est ambivalent. C'est la conjugaison de la douceur et de la violence, de la candeur et de l'artifice, du noir et du blanc. Le baiser c'est l'eau de rose. Le fantôme c'est la piqure de l'ortie. Ce titre annonce d'entrée de jeu les couleurs de ce roman : la lutte infernale entre le mal et le bien, entre la lumière et les ténèbres, entre l'amour et la haine. À qui reviendrait le dernier mot ?
"Les baisers du Fantôme" commence par une tragédie : l'assassinat de Leila le jour de son mariage et par le grand malheur qui frappe Yaniv. Vous décrivez ce drame avec authenticité telle que l'on s'imagine que vous l'avez vécu vous-même
Ce roman n'est pas une autobiographie, mais il n'est pas non plus dénudé d'éléments autobiographiques. Je n'aime pas l'autobiographie pour la raison suivante: elle est la profusion du kitch, de m'as-tu-vu, de regarde-moi-je-suis-un-héros… Dans chaque autobiographie, il y a une part de vanité, ou d'arrogance. La très grande partie de ce roman est le produit de mon imagination. Je suis le créateur de ces personnages, auparavant ils n'ont jamais existé…Je les ai élevés et nourris. Ils me sont très familiers. J'ai souffert et pleuré avec les uns, comme j'ai hurlé et me suis révolté contre les autres. Parfois les personnages échappent à leur inventeur. C'est rare que ce dernier arrive à les maîtriser. Yaniv, le narrateur, m'a-t-il échappé, m'a-t-il renié ? Je ne saurai vous le dire…Je crois que la force de l'écrivain consiste à faire de la fiction une réalité. L'histoire de ce roman est une fiction, elle est à mi-chemin entre un drame shakespearien et une élégie gréco-romaine…
Comment « Les baisers du fantôme » a été accueilli par les lecteurs ?
J’ai eu des retours très positifs, pour ne pas dire élogieux ou dithyrambiques… J’ai reçu plein de messages de lecteurs séduits par mon style, par mon écriture…C’est encourageant. Mais, je m’interdis toute forme d’euphorie. Je ne suis qu’un écrivain naissant, un poète embryonnaire. Les étoiles ne sont pas à la portée de tout le monde, elles appartiennent à ceux qui veillent tard…Je dois encore veiller et suer avant de mériter congratulations et éloges. Je sais que le chemin est encore long, semé parfois d’embûches ; mais surprenant et bigarré. J’ai endossé mon attirail de mots et je me sens prêt à le sillonner, en toute sérénité. L’aventure en vaudra la peine. Tous les encouragements que j’ai reçus me donnent de l’énergie d’aller de l’avant, loin, plus loin encore…Je dois me surpasser, dénicher au plus profond de moi les mots et les sons les plus improbables et les combiner pour en construire une œuvre forte et aboutie… Creuser et chercher dans mon for intérieur les émotions, les douleurs, les souffrances... Chercher les perles rares pour en faire des colliers exceptionnels…
L’écriture de votre roman vous a pris combien de temps ?
Un peu plus de deux mois, je crois. Je suis prolixe me diriez-vous. Mais, avant d’accoucher cette œuvre, je l’ai portée d’abord en moi, dans mes entrailles…Les personnages de ce roman m’ont habité depuis longtemps, et souvent, ils me hantaient. J’ai porté ce roman dans mes tripes comme la femme son bébé dans le ventre…Puis vient l’accouchement…L’accouchement était douloureux, émouvant, excitant et extraordinaire… Mais, je ne suis pas un romancier qui pratique l’écriture de toute hâte, pressée, sans délai, qui gribouille tout et n’importe quoi…Tout passe par l’œil et par le flair. J’observe tout. J’analyse tout. Je suis attentif à tout. En d’autres termes, je suis un chasseur de gestes, un braconnier de comportements. J’essaie de sonder l’âme humaine par mes propres mots. Je peins avec les mots. Mes touches sont des mots… Mes couleurs sont des mots…L’écriture est la peinture de l’âme, comme elle est aussi la mélodie du cœur…
Qu’est-ce que vous ressentez quand vous écrivez ?
Écrire est un exercice qui me procure bonheur et félicité. Quand j’écris, je suis le plus heureux au monde. Car je suis en train de créer « mon monde à moi », mes personnages et les différents facteurs qui régissent leur vie. Je leur impose des rôles, je leur attribue des fonctions ou les licencie, à mon gré. J’invente leurs familles, leurs amis, leurs émotions…On dit de celui qui invente le monde est un créateur… Alors, je joue au petit dieu, au démiurge – c’est moins vaniteux (rire…) Il y a toujours chez l’écrivain cette prétention, souvent exagérée, de concurrencer les dieux...Mais, je ne suis pas naïf, je ne m’inscris pas dans cette vision altière… Pour moi, écrire c’est exister….Ou mieux encore : j’écris pour ne pas mourir, pour ne plus mourir…
Écrivez-vous le jour ou la nuit ?
J’écris plutôt la nuit... Mais, il m’arrive aussi d’écrire le jour…Je crois que cet exercice désobéit à toutes les lois de la nature. Il n’obéit ni au temps, ni à l’espace. Il est intemporel. Il est hors temps tout en étant dans le temps. Il est hors espace tout en étant dans l’espace… Bref : l’écriture a horreur de l’obéissance. Elle est indomptable… Mais paradoxalement, c’est avec l’écriture que j’arrive à dompter les démons qui sommeillent en moi, et à bercer les anges qui volent tout autour de moi…Les mots ont plein de vertus : des vertus cathartiques, exorcistes, alchimistes
… Hugo avait écrit dans Les contemplations : Les mots sont les passants mystérieux de l'âme… Quelle belle description pour parler des mots avec de si beaux mots !…
Quels sont les auteurs qui vous ont le plus marqué ?
La liste est longue…Milan Kundera, Mammeri, Feraoun, Goethe, Mimouni, Jean Amrouche, Sansal, Kateb Yacine, Camus, Sartre, Gary, Comac McCarthy, Amos Oz, Aimé Césaire, Garcia Lorca, Hikmet, Neruda, Oscar Wilde, Dostoïevski, Tolstoï, Nabokov, Gogol, Thomas Mann, Faulkner, Steinbeck, Flaubert, Maupassant… Pour les uns, parce qu’ils ont l’art de mettre toute leur âme dans leurs œuvres… ils ne savent pas tricher… Ils savent bien décortiquer « l’insoutenable légèreté de l’être »…Pour les autres, j’aime leurs écritures, parce qu’ils osent réinventer, non sans arrogance, le monde avec leurs propres mots…Et ils le font si bien…
Depuis quand écrivez-vous ?
J’ai commencé à écrire dans ma langue maternelle, le kabyle. j’étais à peine plus grand qu’une asperge. J’avais alors 13 ans. Ce n’était pas vraiment de l’écriture… C’était du gribouillage. Je notais par-ci un quatrain, souvent vain, par-là un bout de poème, parfois réussi…Ainsi, j’ai commencé à rafistoler des bribes de poèmes… Puis, au Lycée, après avoir dévoré d’un trait Les fleurs du mal de Baudelaire, j’ai commencé à écrire des poèmes dans la langue de Molière…
Quelle sensation avez-vous ressentie une fois votre livre achevé ?
Une fois le livre achevé, c’est le soulagement. Après l’accouchement, on flotte sur un nuage : on prend son nouveau-né dans ses bras, on le berce, on le dorlote, on le bichonne et on lui caresse les joues (rire)…Une fois le livre publié, il n’appartiendra plus à l’auteur, il est à ses lecteurs…Libre à eux d’en faire leur livre de chevet, ou de le jeter aux oubliettes, ou à la poubelle….
Un commentaire sur le SILA 2008 (Salon International du Livre d’Alger )?
Révolté. Je n’appellerai pas ça un Salon du Livre, mais un Salon de l’Autodafé des Livres. Le livre fera toujours peur aux tyrans, comme il avait déjà fait peur, par le passé, à Franco, à Hitler et consorts. Ce n’est pas aujourd’hui que les mœurs des despotes changeront. Les mots peuvent écorcher, blesser et assassiner, autant que les armes. Ce sont les livres qui dévoilent la débilité et le règne bouffonesque des tyrans. Ce sont aussi les livres qui prévoient la chute et l’éboulement de ces derniers. Mais ils oublient souvent ceci : On peut brûler un livre, mais pas les idées. Les idées resteront, elles survivront aux conneries. Les idées sont immortelles. Du livre, seules les feuilles peuvent être brûlées, pas les idées… Nos gouvernants maîtrisent bien le métier de la censure. Leurs ciseaux les ont bien affûtés depuis l’indépendance. Le livre a été toujours leur ennemi. Peur eux, le livre est un objet immoral, blasphématoire, impénitent, voué à l’autodafé, s’il ne fait l’apologie de l’étroitesse de leur esprit et de leur fanatisme religieux, s’il ne fait l’éloge de leur absolutisme funeste…Je suis révolté, cependant je n’en suis aucunement choqué, c’était prévisible…C’est lâche et c’est bas…Les dirigeants algériens n’édifieront pas de Panthéon à leurs écrivains, ils leur dresseront des bûchers…
Comment réagir à cette censure ?
J’espère que les écrivains et éditeurs qui ont participé à cette édition ne prendront plus les vessies, offertes par les potentats d’Alger, pour des lanternes; car ce salon est un leurre, un trompe-l’œil, une imposture. Pour répondre à votre question, je dirai que le moyen le plus efficace, - le moins coûteux aussi - dont les écrivains pourraient en abuser c’est le boycott. Boycotter à l’unanimité la prochaine édition. Pour montrer à la communauté internationale que ce Salon n’est qu’une parodie de Salon du Livre, qu’il n’est que de la poudre aux yeux des passionnés du livre. Les écrivains doivent agir ensemble: que l’un d’eux soit victime de censure, tous les autres se lèvent comme un seul homme en refusant d’y prendre part. La liberté d’expression est un droit absolu pour tous. De quel droit interdit-on un livre plutôt qu’un autre ? Sur quelles bases décide-t-on de censurer un auteur ? Pour moi, il n’y a pas censure justifiée, de censure tolérée. Toute censure est abjecte. C’est la censure qui est immorale, ce n’est pas livre. Au risque d’en choquer plus d’un, je dirai ceci: je ne suis pas seulement pour la liberté d’expression, mais je suis aussi pour la liberté à l’injure...
Des projets littéraires à venir ?
Oui, beaucoup. Les projets ne manquent pas. J’ai mon deuxième roman Nos oiseaux meurent au printemps qui est presque fin prêt, qui parle de la violence islamiste en Algérie conjuguée à la dictature du pouvoir central, mais aussi de mon identité, de l’espoir de mon peuple, de la colère des miens, de l’exil, de l’amour... Et une pièce théâtrale que je suis en train de peaufiner sur la situation des droits de la femme dans le monde. Sur les femmes excisées, violées, voilées, muselées, mutilées, vendues, exposées, reléguées au rang de chiennes de compagnie…Bref, toutes les femmes qui n’ont pas droit de cité auront voix au chapitre dans ma pièce… Mon souhait, mon plus vif souhait, est de faire jouer des femmes victimes des lois iniques imposées par des traditions moyenâgeuses, par des doctrines et dogmes religieux machistes et obsolète…
Avez-vous une autre passion que l’écriture ?
Oui, la peinture et le théâtre... Pour la première passion, j’aimerais reprendre au plus vite le pinceau ; mais ce n’est pas pour demain… Car l’écriture a tout absorbé. Sans l’écriture, je ne serais qu’une modique chenille rampant dans le fleuve agité de mon inconsistance…
Le mot de la fin Karim ?
Je remercie Kabyle.com de m’avoir donné cette précieuse occasion de m’exprimer et que vivent la littérature en particulier et l’art en général.
Entrevue réalisée le 2 novembre 2008 à Montréal
Par T.Ould-Hamouda - Kabyle.com