Ali Khadaoui est né en 1953 à Ajdir (Moyen-Atlas - Maroc). Poète, Chercheur, Militant Amazigh, membre de plusieurs associations et surtout membre Fondateur d' "Option Amazighe", Ambassadeur des Poètes de Tamazgha auprès de "Poètes du Monde", membre de la commission préparatoire de l'Association des Écrivains Autochtones.
Nous avons eu le privilège de rencontrer ce grand homme si modeste à Montréal et nous avons profité de l'occasion pour lui poser quelques questions.
T.Ould-Hamouda : Azul Ali, Bienvenue à Montréal et à Kabyle.com.
Ali Khadaoui : Tanemirt, ma soeur Tassadit et merci à Kabyle.com qui est un site que j'aime beaucoup et que je trouve objectif et sérieux.
T.Ould-Hamouda : Vous venez de participer au CILAF de Wendake (Carrefour international de littérature Autochtone Francophone), comment se sont faits les contacts qui ont abouti à votre participation, alors que l'on sait que vous résidez au Maroc ?
Ali Khadaoui : En fait, j'ai reçu 2 invitations, la première de l'Université de Laval en tant que Chercheur dans le domaine amazigh et donc à ce titre, je suis intervenu sur un sujet très actuel, à savoir le passage de la littérature amazigh de l'oralité à l'écriture. J'ai exposé le cas de la Poésie amazigh au Maroc. La 2ème invitation m'a été envoyée par la Nation Huronne-Wendat en tant que Poète amazigh et francophone.

T.Ould-Hamouda : On peut vous appeler "Grand Homme de Culture" : vous êtes d'abord un grand militant Amazigh, vous êtes Poète et Écrivain et vous êtes aussi Artiste Peintre, pouvez-vous nous en parler ?
Ali Khadaoui : Quand on est Amazigh et "Amazigh du Moyen-Atlas" en plus (Le Moyen-Atlas c'est un peu La Kabylie du Maroc), on ne peut échapper à la grâce de la Poésie, à ce sujet, une remarque s'impose : Le Moyen Atlas est une région qui a sauvegardé les formes les plus traditionnelles des Arts Amazighs, Ex. : Tamawayt, Ahidous et Tamedyazt.
Dès ma tendre enfance, j'ai appris des centaines de poèmes chantés lors des différentes manifestations (mariages, circoncision, festivals....). Dommage qu'on ne chante plus nos morts car les Imazighènes chantaient leurs morts dans des "Ahidous" consacrés à partager la douleur.
Aujourd'hui encore au Moyen-Atlas, "Imedyazen traditionnels" comme "Si-Mohand (Kabylie) se comptent par dizaine et un Festival de Poésie Traditionnelle se tient annuellement à El-Anoçar près de SEFROU. Depuis 2 ans, j'ai l'honneur de présider le Jury de ce festival.
Je me considère à la fois comme Poète traditionnel (je produis et je chante la poésie traditionnelle) et Poète-Écrivain.
En tant qu'écrivain, j'ai été publié depuis les années 1980 dans la presse, revues, livres et internet. Je suis co-auteur du recueil de poèmes "Mots de Neige, de Sable et d'Océan" qui regroupe une trentaine de poètes Autochtones de différents continents et pays et qui a été lancé à Wendake le 10 septembre 2008.
Ma poésie est un acte militant comme la chanson engagée car pour moi le combat pour l'amazighité a commencé très tôt, le jour où je suis rentré à l'école et où je n'ai trouvé que les langues Française et Arabe.
À mes interrogations d'enfant à l'époque, c'est dans la poésie que j'ai trouvé mes réponses et depuis, je suis devenu un militant infatigable sur tous les fronts associatifs, scientifiques et bien sur politiques car le problème de l'amazighité embrasse tous ces champs à la fois.. Il faut dire que ce n'est pas facile d'être tout ça à la fois mais on y gagne une vue globale de la question au détriment peut-être de l'efficacité d'une spécialisation. Mais c'est le destin des Imazighènes conscients de leurs droits historiques, de la beauté de leur civilisation Ex. : Quand les arabes enterraient leurs filles vivantes par peur de la honte, nous on avait des reines et c'est l'une d'entre elles "Dyhia" qui les a battu la dernière fois quand ils sont rentrés chez nous.
De plus la civilisation amazighe est l'une des rares dont "Azref" **(Le droit amazigh) interdisait les châtiments corporels, la prison et la peine de mort. C'est dire à quel point cette civilisation est terriblement moderne et c'est pour ces valeurs que le mouvement amazigh combat et je salue ici tous ses militants et rend un vibrant hommage à ses martyrs.

T.Ould-Hamouda : Comment êtes-vous venu à la recherche dans le domaine de l’Anthropologie Amazigh ?
Ali Khadaoui : Je crois que c’est toujours lié à ma quête identitaire, j’ai dit plus haut qu’à l’école, je n’avais pas trouvé ma langue maternelle Amazigh et cela m’a toujours intrigué car je chantais toujours dans cette langue chaque fois que j’étais heureux ou que le spleen me prenait à la gorge. Plus tard, j’ai choisi le français parce que quelque part il ouvrait une fenêtre sur moi-même. Effectivement, c’est cette langue qui m’a permis de découvrir une partie de l’histoire de la langue et de la culture de mon peuple exclues par les pouvoirs en place. Les recherches effectuées dans le cadre colonial n’avaient pas toujours de desseins scientifiques, mais certaines d’entre elles ont été décisives pour la redécouverte de notre identité amazigh ensevelie par 14 siècles de mensonges arabo-islamistes.
À partir de là, le goût de la recherche est né en moi et m’a conduit à faire un premier DEA en ethnologie sur un rite animiste au Moyen-Atlas « Taânassert », c’est un rite agro-pastoral à travers lequel on peut atteindre la pensée et la philosophie amazighs, une pensée qu’on pourrait qualifier d’écologiste déjà car elle considère que « Dieu » se manifeste à travers tout ce qui se trouve sur la terre et au-delà : Même les pierres étaient considérées comme vivantes et il faillait les respecter, ce que résume le proverbe suivant « Adday teqqimt ghef iselli, tras smaht aday tedart » ( Si tu t’assoies sur une pierre, demande-lui pardon en te levant ».
Ainsi, même les arbres et les animaux étaient respectés et la chasse et la coupe d’arbres étaient réglementées de manière rigoureuse.
Les religions monothéistes constituent à mon sens une régression par rapport à cette religion qui situait l’homme en tant qu’être vivant dans l’éco-systhème au lieu d’en faire le « Maître ravageur incontesté » travaillant à sa propre destruction et on appelle ça : Intelligence. Ce type d’homme a crée à son image le « Dieu » de l’enfer et du paradis dans une dialectique diabolique qui conduit directement à l’intégrisme car c’est soit « bien », soit « mal », soit « noir», soit « blanc » et rien entre les deux sauf le meurtre.
T.Ould-Hamouda : Que pensez-vous du Congrès Mondial Amazigh et comment voyez-vous les problèmes rencontrés actuellement par cette organisation
Ali Khadaoui : En tant qu’ancien membre du Conseil Fédéral du Congrès Mondial Amazigh (Lyon 1998) et en tant que congressiste de la dernière rencontre de « Nador », je peux dire que je connais très bien cette organisation pan amazigh et je peux dire aussi que ces dernières années, elle a fait progresser visiblement la cause amazigh sur la scène internationale et dans les états de Tamazgha et du Sahel.
Les rapports qui ont été envoyés aux différentes instances internationales, les différentes rencontres organisées ça et là, les différentes commissions des Nations Unies qui ont visité certains pays ont été saisies dans une démarche à la fois objective et ferme. Au Maroc, je suis témoin oculaire d’un travail sérieux et continuel dans ce sens.
Quant à la question du lieu, on peut la résumer ainsi : Lors du dernier congrès (Nador), il a été décidé que le prochain se tiendrait à Tizi-Ouzou.
Les démarches nécessaires ont été effectuées auprès des autorités de la Wilaya de cette région. Une année après, ces démarches n’ont pas abouti.
Il fallait absolument trouver un autre lieu et des structures associatives qui permettent de réunir les meilleures conditions pour une telle rencontre. Les dirigeants, de manière démocratique, ont porté leur dernier choix sur Meknès en tant que ville du Centre mais aussi sur l’Association « Assid » dont les dirigeants sont connus pour leur sérieux et leur sagesse.
En réalité, ce qu’on reproche au Président actuel, en l’occurrence M. Belkacem Lounès, c’est d’avoir osé décrire dans ses rapports aux différentes instances des Nations Unies et des Droits de l’Homme, la réalité flagrante des Imazighènes du Maroc.
À commencer par le dernier rapport remis à la commission des Droits de l’Homme, la venue de la Commission des droits des Peuples Autochtones à « Awrirt » au Moyen-Atlas avec à sa tête, la Présidente de cette commission, en personne.
Cette attitude courageuse du Congrès Mondial Amazigh a certainement déplu en hauts lieux, marocain et algérien et par conséquent, le Président actuel, pourtant élu à l’unanimité au Congrès de Nador, est la cible à abattre par personnes interposées.
On reproche également au Président actuel, d’avoir effectué 2 visites en Lybie, oubliant qu’il s’agit d’un pays amazigh mais où l’amazighité est interdite par Kadhafi. Le Congrès Mondial Amazigh a mis cette situation de nos frères libyens sur la scène internationale et c’est tout à son honneur et non le contraire.
T.Ould-Hamouda : Vous avez été membre de l’IRCAM (Institut Royal de la Culture Amazigh) et vous avez démissionné, pourquoi ?
Ali Khadaoui : Tout d’abord, j’avais 2 casquettes à l’IRCAM : j’étais à la fois membre du Conseil d’Administration et Chercheur détaché au Centre d’Anthropologie de cet Institut.
Au début, nous avions cru en un certain discours de l’état, qui affirmait vouloir revaloriser l’amazighité, l’intégrer dans toutes les institutions du pays. Nous avons travaillé d’arrache-pied en militants afin de mettre en place les conditions d’une intégration progressive de l’amazighité et de ses droits dans la société. Malheureusement, après 3 années et demi d’un travail passionné, nous nous sommes rendus compte que le pouvoir n’avait pas la volonté politique de tenir ses promesses.
Après avoir épuisé tous les recours susceptibles d’apporter une amélioration à la pratique de l’IRCAM, nous avons décidé 6 membres du CA et moi-même de mettre un terme à cette mascarade politique qui ne visait en fait qu’à désorganiser le mouvement amazigh au Maroc.
Notre démission visait 3 objectifs :
1/ - Faire connaître la réalité des décisions qui ont été prises pour l’enseignement, l’audio-visuel, la justice, l’administration et qui n. avaient aucun impact sur la réalité quotidienne de l’amazighité.
2/ - Dénoncer cette stratégie du pouvoir à vouloir cantonner l’amazighité dans son seul aspect culturel et scientifique.
3/ - Contribuer à la réorganisation du Mouvement Amazigh, dans ce sens, les 7 démissionnaires ont crée avec d’autres militants une structure qui a élaboré une plate-forme intitulée « Option Amazigh ».
T.Ould-Hamouda : Monsieur Khedaoui, Merci pour cette longue entrevue.
Ali Khadaoui : C’est moi qui vous remercie pour vos questions bien choisies et qui m’ont inspiré. Je remercie également Kabyle.com pour les efforts déployés en faveur de notre héritage sacré, de notre combat pour le sauvegarder et le développer.
T.Ould-Hamouda : Votre mot de la fin M. Khadaoui ?
Ali Khadaoui : Le mot de la fin : C’est un proverbe amazigh que je lance à tous les militants amazighs : « Bdu assif ed iqqar » (Divise le fleuve, il s’assèche ».
Entrevue réalisée le 2 octobre 2008 par T.Ould-Hamouda

TAMAWAYTE (Ali Khadoui)
Quand la mélodie se lève vers le ciel
dans le vide qui se meut insouciant tranquille
l'histoire se fait toute petite toute conne
la mélodie est simplement un hymne à l'amour
Depuis toujours l'histoire se répète
l'amour se bat pour la vie
et la connerie pour la mort
L'aigle sourit et continue son élan
d'un simple coup d'aile
Le palmier est témoin que le désert est vie
Tamawayt , longue mélodie des montagnes
lancée par une femme amazighe
déchire la vie
l'espace et le temps
arrive jusqu'à Dieu qui
ne pouvant pas se dérober
accorde sa bénédiction à l'amour
n'en déplaise aux marchands de la mort
Voici ce que dit la mélodie :
« Aghak tawnza g errhen ad ur kinn itfar umarg
Akk enghin egg ubrid ur tessint »
Traduction
'Prends cette mèche de mes cheveux
afin que l'amour ne te poursuive
et te tue sur ces chemins inconnus'
Amarg amarg a y amarg a y amarg
Ul inw ul inw a y ul inw ak iran
Tamawayt
cri de l'amour à la face de la mort
cri de bonheur au milieu de la détresse
Orphée
amarg
ahidus
et le temps
le temps que seule
la musique
peut abolir
Illusion de l'éphémère
demeurent seuls des instants
éternels
L'aigle sourit au trait bleu
La mélodie se lève vers le ciel
La fleur blanche s'épanouit
L'amour s'en va vers les vagues
où le poète tout tremblant
admire la clé
des premiers temps...
Pour voir quelques poèmes de Ali Khadaoui
emmila.canalblog.com/archives/poesie_d_orient___ali_khadaoui/index.html

Peinture de Ali Khadaoui