Nous remercions chaleureusement M. Ferhat MEHENNI, porte-parole du MAK, pour sa franchise, ses réponses sans détours à toutes nos questions et sa disponibilité malgré son emploi du temps chargé. Tanemirt Tamoqrante.
Kabyle.com : Vous venez d’effectuer une visite en Amérique du Nord où vous avez rencontré des responsables politiques. Pouvez-vous nous en parler, nous en faire le bilan ?
Ferhat MEHENNI : La Kabylie n’a pas d’état, donc pas de voix pour se faire entendre auprès des instances internationales. Après quarante ans de sa répression à huis clos par le pouvoir algérien, rien n’a vraiment changé pour elle. Nous avons conclu que pour faire aboutir son combat il est nécessaire qu’elle se dote d’une diplomatie pour informer les pays qui peuvent jouer un rôle influent dans ce coin du monde afin d’amener le régime algérien à changer d’attitude vis-à-vis d’elle. Un diplomate est l’avocat de son peuple auprès des autres. Par conséquent, ceux que nos bourreaux ont nommés pour les représenter ne sont pas là pour nous défendre mais pour mentir sur ce qu’ils nous font subir, à faire croire au monde que nos larmes ne sont pas celle de la douleur mais celles de la joie. On dit bien en Kabyle : « yewwet iyi urumi ccetka& i gma s », (j’ai été me plaindre auprès du frère de mon agresseur). Si la diplomatie algérienne est celle de son régime qui nous assassine, nous ne pouvons pas compter sur elle mais sur nous-mêmes. Nous nous sommes dit qu’il est vital que nous nous fassions les avocats de nous-mêmes. C’est ainsi que nous avons déjà été au Haut Commissariat aux Droits de l’Homme près de l’ONU à Genève en novembre 2001, puis à Bruxelles auprès des institutions européennes l’année dernière, en Italie puis en mai dernier en Suède. Il nous manquait de saisir les Etats-Unis dont l’avis est toujours respecté à travers le monde. En nous recevant au Département d’Etat, les Américains nous ont permis d’exposer la situation qui prévaut en Kabylie depuis plus de trente mois et de mettre l’accent sur la possibilité d’une évolution dangereuse qui amènerait une violence à même de déstabiliser tout le sous-continent. Nous avons eu toute l’écoute que nous attendions de notre vis-à-vis. Coïncidant avec la visite de Mr. Colin Powell en Afrique du Nord, notre entrevue qui avait duré une heure trente, à Washington, nous avait permis de demander à ce que le chef de la diplomatie américaine évoque la question kabyle lors de ses discussions avec ses partenaires algériens. Le reste a été résumé dans le communiqué que les visiteurs de kabyle.com ont pu lire sur leur site préféré ; site auquel nous tenons à rendre hommage pour sa disponibilité pour toute information sérieuse ayant trait à la Kabylie. Si on peut résumer en une phrase le résultat de cette visite au Département d’Etat américain ce serait celle-ci : Désormais la Kabylie existe auprès des responsables de l’hyper puissance du monde. Et ce n’est pas peu. Au Canada, seuls les Québécois nous ont fait l’honneur de nous recevoir. Le Bloc Québécois nous a reçu en son siège à Montréal par son Président Mr. Gilles Duceppe en présence de Mr. Beauregard. Nous avons brossé un tableau d’ensemble de la région et de l’aspiration du peuple kabyle à son autonomie. Ayant des similitudes sur les plans politique, identitaire et culturel avec le Québec nos hôtes se sont montrés très sensibles à notre situation. De leur côté, ils nous ont expliqué les tenants de leur démarche souverainiste par la voie démocratique. Nous avons décidé de développer nos relations que nous aurons à renforcer, à l’avenir, dans les domaines humain et culturel, notamment au niveau de la francophonie. L’entretien a été cordial et enrichissant pour les deux parties. Notre délégation a été, ensuite, invitée à une séance du parlement québécois à la fin de laquelle le député Mr Daniel Turp nous a reçus dans son bureau. Mme Nora Hamdi a été désignée par nous pour veiller sur place à la qualité de cette relation Kabylie-Québec que nous venons de tisser. Nous tenons à exprimer à tous ceux qui nous ont aidé dans l’organisation de ce voyage diplomatique nos remerciements les plus chaleureux. Merci à l’Association des Taxis Kabyles de Paris pour leur aide matérielle, à Mr Mouloud ATCHEBA pour ses contacts avec les Etats-Unis, Normand Lacasse qui nous a ouvert tant de portes au Québec.
Kabyle.com : En dehors des officiels, qui d’autre avez-vous rencontré ?
Ferhat MEHENNI : En effet, je n’ai pas vu que des officiels. J’ai, lors de cette visite, tenu à rencontrer la communauté kabyle nord américaine. Grâce à l’ACAA, j’ai pu donner à New York une conférence débat entièrement en kabyle, suivie d’un récital, et ce, malgré la tempête de neige qui n’avait pas permis à certains membres d’y assister. A Montréal, j’ai eu d’abord à recevoir les représentants des associations kabyles locales avant d’animer un concert puis une conférence débat sur le thème de l’autonomie de la Kabylie. Merci à Ammar Lakehal et à toute l’équipe qui l’a secondé dans la réussite de la mobilisation des nôtres dont les animateurs des sites Web kabyle.com et Kabyle.ca.
Kabyle.com : Comptez-vous continuer ces contacts sur la scène internationale pour sensibiliser les pays occidentaux à la perspective de l’autonomie de la Kabylie ?
Ferhat MEHENNI : Nous continuerons à le faire autant qu’il le faudra. Défendre le peuple kabyle est une noble tâche que le MAK prend avec toute la solennité, le respect et le sérieux requis. Tant que la Kabylie est violentée, muselée, réprimée nous nous ferons un devoir au dessus de tous les autres de la défendre auprès des instances internationales. Nous envisageons de poursuivre tous ces efforts diplomatiques afin d’arriver à la mettre à l’abri de la violence de l’état algérien.
Kabyle.com : Quelles sont les limites entre les concepts d’autonomie et d’indépendance ?
Ferhat MEHENNI :
En principe, l’indépendance s’applique à un pays lorsqu’il se libère d’un autre qui, auparavant l’avait conquis, colonisé ou annexé. C’est une rupture politique qui met le dominé sur le même pied d’égalité que le dominant au sein de l’ONU. L’indépendance requiert une reconnaissance internationale à travers des échanges d’ambassadeurs. L’autonomie régionale ne porte pas atteinte à l’intégrité du territoire dit national. Elle est semblable au fédéralisme dont elle n’est qu’un premier pas. L’état régional qui en est l’expression reste dépendant de l’état central qui lui délègue ses pouvoirs à l’exception de la défense nationale, de l’émission de la monnaie et des représentations diplomatiques. Pour illustrer cela, prenons, d’une part, l’exemple de l’indépendance de l’Algérie vis-à-vis de la France et, d’autre part ; l’autonomie régionale de la Catalogne en Espagne. L’indépendance, en général, s’obtient par la force tandis que l’autonomie par la voie démocratique. Il arrive que des états refusent à une ou plusieurs de leurs régions leur droit à l’autonomie. C’est là qu’ils prennent le plus grand risque d’une dislocation nationale et la responsabilité d’une évolution violente dont ils auraient pu faire l’économie, tant le résultat au bout du compte a toujours été pire que ce qu’ils ont voulu empêcher. Le cas de l’ex Yougoslavie avec la Bosnie et le Kosovo en est un exemple édifiant.
Kabyle.com : Quelles sont les franges de la société tant civile que politique qui composent le MAK ?
Ferhat MEHENNI : Le MAK recrute dans toutes les classes de la Kabylie. Il n’a pas le droit d’exclure une catégorie politique, sociale, religieuse culturelle ou linguistique du combat pacifique commun à tous les Kabyles en faveur de leur autonomie régionale. Le MAK ne fait pas de distinction entre ses membres. Il est animé par des militantes et des militants de conviction et non de carrière. C’est parce qu’ils portent la Kabylie dans leur c¨®Acirc;?ur et qu’ils font passer ses intérêts avant les leurs qu’ils adhèrent au MAK. La Kabylie autonome a besoin de tous ses enfants aujourd’hui. Demain elle saura être généreuse envers tous y compris ceux qui, parmi eux, se croient encore en devoir d’en combattre l’avènement. Nous voulons inaugurer une nouvelle ère où les divergences ne se transforment pas en affrontements et ne font pas de leurs tenants des ennemis. Quand la solidarité ne peut pas jouer, nous resterons polis, courtois et fraternels. Nous ne nous tromperons pas de cible. L’ennemi est ailleurs qu’entre nous.
Kabyle.com : Quels sont les obstacles que rencontre le MAK dans la région de Kabylie et au niveau national ?
Ferhat MEHENNI : L’obstacle majeur que nous avons rencontré relève plus du malentendu, de l’interrogation que de l’opposition de l’hostilité. C’était au lendemain du 5 juin 2001 lorsque beaucoup des nôtres ne comprenaient pas le sens de l’autonomie. Depuis que nous avons entamé de sillonner la Kabylie pour expliquer en quoi notre projet consiste, en quoi notre région et notre peuple en seront grandis, nous avons assisté à une adhésion au-delà de ce que nous escomptions. D’un tabou, nous avons réussi le tour de force de révéler une aspiration profonde des Kabyles à s’autogouverner, à gérer leur propre quotidien par eux-mêmes. Il en est beaucoup qui, maintenant, souhaiteraient aller au-delà du cadre de l’autonomie. Mais nos intérêts immédiats sont dans cette dernière. Que l’on ne se trompe pas une fois de plus. Le deuxième obstacle pour agir a été notre principe moral de ne déstabiliser en aucune façon l’action des Archs sur le terrain. Il est hors de question pour nous d’en être les adversaires ou, encore moins, les fossoyeurs. Une fois leur mission terminée, bien ou mal, nous prendrons toutes nos responsabilités. Le troisième obstacle est notre manque de moyens matériels et financiers. Pour accélérer le processus de construction l’autonomie nous avons besoin de nos journaux, de nos radios et de notre télévision. Nous allons entreprendre des démarches auprès de tous ceux qui peuvent nous aider dans ce sens en Kabylie et dans l’émigration afin de nous doter des moyens de notre politique. En attendant merci à tous les médias qui nous ouvrent leurs colonnes, leurs ondes ou leur écran. Au plan algérien, Le MAK a été diabolisé et l’on me traite de tous les noms d’oiseaux. C’est pour cela que, dans le but de lancer le débat sur l’autonomie, je fais paraître en France, vers le début mars 2004 un livre intitulé « Algérie : La question kabyle »
Kabyle.com : En quoi l’idée de l’autonomie de la Kabylie peut-elle déranger l’équilibre national si équilibre il y a ?
Ferhat MEHENNI : L’équilibre politique national, au sommet de l’état, est toujours instable, précaire. Deux clans se sont installés au pouvoir depuis leur alliance contre la Kabylie insurgée de 1963 à 1965. On les désigne plus crûment sous l’expression de clan de l’Est ou de clan de l’Ouest même si ils ne sont nullement représentatifs des populations de ces deux régions du pays. Les clans ne représentent qu’eux-mêmes, c-a-d des mafias ordonnées sur le mode tribal. L’expression de cette dualité n’a éclaté au grand jour que ces derniers temps avec les candidatures de Bouteflika et de Benflis à la présidence de la République. Le FLN qui est l’instrument de leur pouvoir s’est fracturé en deux : le « FLN Redressement » est de l’Ouest comme son candidat et le « FLN officiel » si on peut se permettre de l’appeler ainsi recrute essentiellement à l’Est derrière le fils du bled. Les Kabyles qui en font partie, longtemps brillants seconds et toujours reniant leurs origines à l’intérieur de l’armée, jouent ces derniers temps au balancier. Là où ils penchent, le clan emporte la décision. Les tenants du pouvoir pensent que le MAK et son idée d’autonomie de la Kabylie déstabiliseraient entièrement l’avenir de la règle du jeu. Si la Kabylie viendrait à être autonome, se produiraient au moins deux phénomènes fatals à l’ensemble du pouvoir. Premièrement, l’exemple de la Kabylie ne pourrait que tenter d’autres régions d’Algérie qui voudraient s’affranchir de leur tutelle liberticide et étouffante, de même que chaque région aurait alors à revendiquer la transparence dans la gestion de la rente pétrolière qui est la base de cette lutte des clans et du pouvoir occulte algérien. Ensuite, l’élément kabyle qui lui assure sa relative stabilité, une fois débarrassé de ses inhibitions à s’affirmer, pourrait soit postuler à son tour au leadership du pouvoir soit en être éjecté avec toutes les conséquences que cela aurait sur l’aggravation des luttes entre factions et le dit équilibre. Ils estiment à tort ou à raison que l’idée d’autonomie est révolutionnaire en ce sens qu’elle remet en cause les fondements mêmes du régime en place.
Kabyle.com : On dit que « l’argent est le nerf de la guerre », qui finance le MAK ?
Ferhat MEHENNI : Pour le moment personne. Je vous rappelle que pour aller aux Etats-Unis, c’est une association sans grands moyens qui m’a payé mon billet. Si l’argent est le nerf de la guerre, la conviction militante en est l’âme. Elle lui est supérieure. C’est sur elle que jusqu’ici nous avons compté. Mais il viendra un moment où elle aura besoin de son complément indispensable qu’est l’argent. Alors, les Kabyles finiront bien par prendre en charge leur propre combat en cotisant pour le MAK et pour leur autonomie.
Kabyle.com : Quel impact interactif a le MAK sur le plan international ?
Ferhat MEHENNI : Vous voyez ! Sans argent ce que nous avons pu faire. Nous avons réalisé un miracle. Etre reçu au département au Département d’Etat américain, aux institutions européennes, par des ministères de pays étrangers n’est pas, me semble-t-il, à la portée du premier venu. C’est sur son sérieux, la justesse de sa cause et sa crédibilité à l’intérieur d’un pays que se juge une organisation à l’étranger. L’impact du MAK sur le plan internationale est à l’image de son impact en Kabylie, même si les médias algériens le minimisent ou le censurent. Je tiens à exprimer notre reconnaissance à tous ceux qui relaient notre opinion et nos actions en refusant se nous appliquer leur bout de sparadrap sur la bouche.
Kabyle.com : Qu’adviendrait-il du MAK, une fois l’autonomie acquise ?
Ferhat MEHENNI : Le MAK ne veut en aucune façon confisquer l’autonomie de la Kabylie à son peuple comme le FLN avait confisqué leur liberté aux Algériens au lendemain de l’indépendance du pays. Le MAK sera élevé au rang de patrimoine de tous les Kabyles et ne postulera à aucune récompense en dehors du respect de chacun. Toutefois, il est certain que ceux de ses militants qui souhaiteraient monter une nouvelle organisation pour briguer des mandats électifs, en auront toute la latitude. Ensemble de préférence sous un autre sigle, ou dispersés, chacun en fonction de ses ambitions et du projet de société qu’il porte en lui pour la Kabylie. Je fais confiance au peuple kabyle pour porter à sa tête, ce jour-là, celles et ceux qui méritent réellement de le représenter.
Kabyle.com : En quoi consistent le rôle et l’avenir politiques de Ferhat ?
Ferhat MEHENNI : Mon rôle consiste, dans la mesure de ma santé et de mes moyens, à protéger la Kabylie d’un nouveau massacre, de nouvelles répressions, de nouvelles humiliations. Je me bats pour notre droit en tant que peuple, en tant que nation à vivre dans le respect qui nous est dû dans notre pays, sur notre propre terre. Je continuerai à lutter pour que le peuple kabyle vive dans la paix, la prospérité et l’amour de nous-mêmes et des autres, dans le respect des valeurs humaines les plus nobles. Mon avenir politique ne m’a jamais posé problème. Je ne suis ni un assoiffé de pouvoir ni obnubilé de richesses matérielles. J’ai cinquante trois ans. J’aurais pu passer mon temps à courir la fortune et les titres au lieu des prisons et des coups que j’ai tant reçus, y compris de la part des miens. A chaque fois que je relève un défi, je me fais un devoir de l’honorer. Je serais toujours là, à côtés des miens à les servir avec toujours autant de dévouement quant, hélas, ce ne sera pas avec la même fougue du fait de mon âge. Je préfère envisager, à la place des miens, le rôle politique de la Kabylie dans l’ensemble nord-africain, dans le bassin méditerranéen, à travers le monde. C’est l’avenir tout court des jeunes Kabyles d’aujourd’hui qui me préoccupe le plus, eux qui n’ont le choix qu’entre la prison, les grèves générales, les marches, les balles explosives que tirent les gendarmes sur eux, l’exil ou la mort. C’est leur avenir qui me semble se confondre avec le mien.
Kabyle.com : Votre mot de la fin ?
Ferhat MEHENNI : Mes remerciements à Kabyle.com pour tous les efforts déployés pour couvrir ma visite en Amérique du Nord. L’excellent travail réalisé a permis aux internautes de suivre les évènements importants de ma mission au jour le jour.
Interview réalisée par T.Ould-Hamouda 
Quelques liens
Site de M.Turp du Parti québécois
Site du MAK